jeudi 2 juin 2022

Priorisation & pression

Je me rends compte que bien souvent les difficultés rencontrées autour de la priorisation sont souvent issues de la pression exercée.


Du fait de cette pression, on ressent des difficultés à prendre du recul, on est dans le faire, faire... et dans la peur de ne pas bien faire, et notamment en terme de quantité.

On se retrouve dans une sorte de cocotte minute infernale. La pression est constante, et le surplus de pression sort par la soupape.

On se retrouve dans un mode, où on ne peut rien changer, car on ne peut pas ouvrir la cocotte minute pendant la chauffe, et il faut même attendre un certain temps que la pression soit redescendue pour l'ouvrir. Une fois les ingrédients mis, on a un résultat à la fin quoiqu'il arrive.

Si on reprend une image culinaire, si vous faites mijoter un bon ragout, sans pression, vous pouvez voir régulièrement ce que vous faites, ajuster les saveurs, ajouter des morceaux, éventuellement, commencer à déguster, sélectionner les morceaux...

Les points qui favoriseront la descente de la pression, et je ne pense pas que cela soit une nouveauté, mais on a parfois besoin de reprendre conscience de l'importance de ceux ci.


1/ La vision


C'est important de pouvoir se dire ce qu'on veut faire sur le terme, se donner une trajectoire, des envies, une feuille de route, ou en tout cas un guide cohérent, nous permettant de vérifier que nous allons dans la bonne direction.


Cette vision sert notamment à arbitrer les éléments, car si un nouvel élément arrive, il faut voir si cela correspond à la stratégie, et s'il n'en fait pas partie de pouvoir acter qu'on ne le fera pas dans cette feuille de route.


C'est peut être aussi à la fin de l'année, car finalement, on a encore souvent des budgets annuels, de faire une rétrospective sur ce qui avait été prévu vs ce qui a été fait. Et par ce chemin, réfléchir aux processus de décisions, aux circonstances de décision, et pouvoir en conscience reprendre une route sans faire semblant, en honnêteté. 

C'est aussi l'occasion que chacun reprenne ses responsabilités, et que chacun trouve le pas qu'il peut faire vers l'autre.

Peut être aussi, qu'on va se rendre compte, que ce ne sont pas les bons interlocuteurs qui travaillent actuellement ensemble. Comment arbitrer, prendre des décisions stratégiques, quand on est en délégation?


2/ Le travail capacitaire


Au final, quelque soit l'argent que vous injectez, on est toujours limité par la capacité des hommes dans leur travail. Ce n'est pas parce que vous avez ajouté 10 développeurs, que vous irez dix fois plus vite. C'est un leurre.

Devenons honnête sur notre capacité à faire, et nos limites, et utilisons les comme une valeur, une source de partage.

C'est un principe fort qu'on retrouve dans Kanban, rendre visible le travail, mais aussi les limites des équipes en terme de capacité à chaque étape du cycle de vie de la demande.

Dans une relation client/ fournisseur, vous serez toujours dans cet espèce de négociation qui ne satisfait personne au final, car chacun essaye de tenir ses objectifs personnels, et on a du mal à s'inscrire dans une stratégie d'entreprise.

Idéalement, il faut dépasser cela, et créer un partenariat entre les différentes parties. Chacun devrait pouvoir comprendre les contraintes de l'autre, et surtout faire les pas nécessaires pour rendre les choses plus harmonieuses entre les parties.


3/ Sécurité 


Je pense que c'est un enjeu important, qui va permettre d'aller vers ces fameuses relations harmonieuses.

Si on fait un peu attention au temps consommé sur nos projets, vous verrez qu'un temps très important est dépensé dans des postures de défense, de protection.

C'est un cercle vicieux compliqué à combattre mais qui peut s'avérer très bénéfique sur le long terme pour toutes les parties.

Un exemple concret de temps consacré à la défense / protection est ce qu'on appelle par exemple la recette applicative. Ce que j'appelle la peur de passer en production.

On passe un temps important dans ce cycle, pour à la fin pouvoir dire, vous prenez la responsabilité (PV de recette) de passer en prod, donc vous ne pourrez pas nous reprocher par la suite des choses. 

Si on imaginait un cadre, où le droit à l'erreur existait, et était pleinement assumé, on ferait du test en continu, avec des petits morceaux. Si on met en prod, un erreur, on est alors capable de rectifier le tir en quelques heures (c'est petit, on vient juste de travailler dessus,...). On fait du cycle court au global, même dans la manière de travailler.


L'insécurité amène sa charge mentale du début à la fin. Insécurité dans le choix des sujets qui nous paraissent important, insécurité dans le cycle de préparation, insécurité dans les instances de décision, insécurité dans la spécification, insécurité dans le développement, dans le test, dans la mise en production, dans la gestion des retours, dans les comités de pilotage...

Du coup, pour palier à cette insécurité, nous créons tout un tas de processus (écriture d'expression de besoin, de spécification, de gestion budgétaire, de suivi, de contrôle, de partage) et avec une comitologie qui permet de garder les bonnes distances, et se justifier.


Injecter de la sécurité, et vous verrez que tout un tas de processus vont devenir obsolètes, et vous gagnerez en time to delivery, en qualité, et en valeur produite, avec le même budget initial.


C'est intéressant de voir que certains processus datent d'une époque, ou d'un contexte qui n'a plus forcément lieu aujourd'hui. Mais qu'il est très difficile de s'en affranchir. Ils ont servi un jour...


Le lien vers la vidéo





jeudi 3 février 2022

Transformation ou adaptation

Toujours sur le thème de la violence, je voulais faire un petit article sur un détail étymologique qui pourrait vous apporter du sens, et moins de violence.

Le mot transformation pour moi, a toujours eu pour moi une connotation un peu violente. Une sorte de changement "radical" qui pousse à renier ce qu'on a été pour embrasser un nouveau costume. Et qui pourrait dire, vous faisiez "mal", vous allez faire "bien".

A mon sens, le but nos transformations est de faire grandir, et de faire évoluer l'individu vers le collectif, en intégrant de nouveaux savoir être.

Adaptation intégrative

Je pense qu'en tant qu'agiliste, un terme plus serein me vient à l'esprit qui est adaptation. L'adaptation n'est pas un reniement de ce que nous sommes, mais plus l'utilisation de ce que nous avons été, pour se mouvoir dans un nouvel avenir. Il est dommage de jeter à la poubelle tant de savoir faire, et de savoir être, pour le plaisir d'un "agile-washing", grand nettoyage à sec au nom d'un idéal, d'une notion.

L'adaptation seule ne suffit pas, il faut également intégrer de nouveaux concepts, de nouvelles manières de voir les choses, c'est pour cela que je préfère parler d'adaptation intégrative. On va intégrer dans notre démarche un ensemble de savoirs supplémentaires, qui vont venir compléter notre manière de faire, ce qui pourra demander parfois des adaptations à nos habitudes.

Le Manifeste Agile par ailleurs appuie le fait qu'on ne renie pas tout d'un bloc, mais qu'on va aller dans une direction privilégiée, vers de nouvelles valeurs :

" Précisément, même si les éléments à droite ont de la valeur,  nous reconnaissons davantage de valeur dans les éléments à gauche.".

En tant qu'agiliste, je soutiens l'épanouissement des individus et des interactions entre eux, et en même temps, je ne renie pas la valeur que peuvent avoir un processus ou un outil, qui viendrait soutenir les individus et leurs interactions.

Dans une démarche, dite de transformation, le but ne serait pas de faire table rase, mais bien d'intégrer des nouveaux concepts à leur prédécesseur. Nous le voyons bien, il n'est pas possible de supprimer 20, ou 30 ans d'existence dans un autre mode, juste en le décrétant.

Ce n'est pas une coexistence à proprement parler, mais une adaptation, et une intégration de nouveaux concepts.

Intégration à la performance

Nombre de sociétés sont dans la recherche de performance. Dans le monde qui est le notre, il n'est pas imaginable de sortir de la recherche de performance. Par contre, les moyens de l'obtenir peuvent être adaptées.

J'ai l'impression que pour certains le mot performance est un mot à casser, car agilistes que nous sommes, nous avons à cœur de développer des valeurs autour de l'humain, et souvent le mot performance l'a été au détriment de l'humanité de l'entreprise.

La performance n'est pas quelque chose de "mauvais", ce sont plus les moyens utilisés pour y arriver qui ont pu être déshumanisant. Si vous voulez avoir une approche adaptative intégrative, il faudra composer avec les besoins de l'entreprise, et la recherche de la performance en est un un.

La mise à l'agilité amène à aller vers une nouvelle direction. On va rechercher plus de valeurs humaines, plus de sens du collectif, moins de chef, pour plus de "nous", où l'importance de la place de chacun est important pour chacun, plus que l'intérêt pour sa place individuelle.

Le point de départ de "nos transformations" est souvent une organisation très hierarchisée, construite dans un but de recherche de performance, de valorisation du mérite(travailler dur pour réussir et monter les échelons), et très centré sur l'individu et de sa performance individuelle.

Ma vision est qu'il est nécessaire d'apporter une réhumanisation de cette organisation, tout en tâchant de continuer à cibler une performance, mais qui sera valorisée collectivement, et sans oublier l'individu, qui doit trouver sa place, et son contentement.

Il ne faut pas créer une cassure, mais plutôt prolonger l'individu à son collectif, à ce qu'il apporte aux autres, à sa contribution au grand tout.

Nous allons donc essayer d'apporter plus de sérénité dans les relations, donner de la place à chacun dans le collectif, ce qui va apporter de la sécurité (ma place n'est plus menacée) et donc une propension à essayer, expérimenter et donc à innover et à sortir de :

"Faire plus de la même chose est une excellente stratégie pour réussir à échouer"

-- Paul Watzlawick


Et en même temps, on va utiliser notre expérience, pour s'objectiver, mesurer, se challenger, et garder cet objectif de performance.

L'enjeu sera de montrer qu'on peut continuer à performer, mais autrement. C'est un enjeu complexe car, bien souvent, coach que je suis, nous sommes complètement dans la mise en oeuvre du réhumaniser, de créer du sens du collectif, d'abolir de la hiérarchie, en rendant tabou l' "ancien monde". Si je veux être crédible, et intelligible par tous mes interlocuteurs, je dois savoir écouter ce besoin de performance, et l'intégrer dans ma démarche, et peut être passer du temps avec les "compteurs" (même si ma préférence va aux conteurs), pour voir avec eux ce qu'il y a à compter, et ce qui va être comptable à la fin, et j'espère que tout cela me mènera à vous conter d'autres histoires.

mercredi 19 janvier 2022

Douceur en transformation

Douceur dans les transformations

Petit constat de ma vie de coach agile. J'aimerai vous aider à prendre un peu de recul, dans vos activités de transformation, d'accompagnement d'équipes, afin de réintégrer de la douceur dans ce que vous faites.

Nous faisons un métier, où pour parti nous servons de véhicule d'un message qui ne nous appartient pas. La direction a choisi de mettre en route une transformation, et chacun doit se conformer à ce message.

L'entreprise recrute des coachs, et ceux ci s'approprient "la transformation", et bien souvent ils essayent de la modeler à leur image, leurs idéaux, leurs valeurs. Je dis ceux-ci, il est entendu que j'en fais partie.

Bien souvent, j'ai ressenti une grande désillusion quand mes idéaux n'ont pas rencontré ceux de l'entreprise. Mon envie de faire les choses bien, en grand, de garantir la sécurité et le bien être de mes équipes, de réussir à faire changer le mindset de toute la chaîne managériale, et tout cela, avec amour et tendresse.

Je me suis rendu compte, qu'il était difficile de faire mon métier, si je restais sur des idéaux trop éloignés des possibilités de l'entreprise où je venais apporter la "bonne parole". J'essaye aujourd'hui de traiter cela avec plus de douceur, et pour moi, et pour les autres, car au final, une transformation apporte une forme de violence, qui ne peut être ignoré. Et en tant que coach, je dois composer avec cette violence, pour la ramener à quelque chose de plus doux et serein.

Violence envers les managers


Les managers ont des objectifs chiffrés, des plannings de livraison à tenir, et bien souvent avec peu de moyens, car la transformation doit apporter les leviers de productivité. Ils n'ont bien entendu pas le droit non plus de dégrader la production, car la transformation apporte vélocité, et qualité, il n'y aucune raison de réduire la voilure. Nous sommes bien conscients, que tout changement nécessite  un temps d'intégration, d'apprentissage, et de maîtrise. Je trouve tout à fait normal que la production soit dégradée dans un premier temps, pour amener ensuite une forme de productivité, plus de motivation(bien être), le fait de ne produire que de la valeur, et de la qualité.

Les managers doivent porter bien souvent une transformation qu'ils n'ont pas choisi, sans moyen, ni support. On voit bien la violence dans  l'injonction "change" (devient agile) qui est en contraction avec "ne change rien" (la production doit continuer de la même manière, même niveau de service).

Violence envers les équipes

Pour les équipes, il y a de la violence également. De manière implicite, le message véhiculé ressemble fort à "on va vous apprendre à travailler maintenant". Pour autant, le message est souvent bien accueilli car il va avec de nombreuses promesses : "auto gestion", "autonomie", "droit à se gouverner", "plus de valorisation de la production".

Malheureusement, on s'aperçoit souvent qu'on n'aboutit que rarement à cette promesse, et on atteint souvent un plafond de verre. On demande aux équipes des résultats tangibles, hors de la même manière une non autorisation de réduire la productivité, et donc d'apprendre, de se former, de trouver son équilibre. Et on entend souvent ce reproche de manque d' "agilité" : souplesse, flexibilité, acrobatie.

On se retrouve dans la même violence d'injonction.

Violence envers les coachs

Pour les coachs, il y a aussi beaucoup de violence dans les transformations. On nous reproche assez rapidement une posture basse, posture d'émergence, qui dénote un manque d'implication dans le résultat. On aimerait d'ailleurs nous demander de participer à la production, eut égard à notre tarif journalier. Et nous sommes les premiers qui sont remis en cause, pas assez efficace, pas assez de résultats tangibles, mesurés à partir de Kpi quantitatif. Et on n'aura de cesse de comparer avec l'entreprise ou le département, qui elle/lui est agile.

Plusieurs injonctions jouent contre nous : injonction d'aller vite alors que le changement prend forcément du temps, coacher versus produire, faire pareil mais différemment...

Résilience

Au final, comme on peut le voir, une transformation contient sa part de violence, si on n'y prend garde.

Je prends aujourd'hui beaucoup de recul dans ces démarches de transformation. Je me rends compte du nombre d'injonctions, et du nombre d'injonctions contradictoires que tout le monde reçoit. J'essaye de ne pas y apporter les miennes, et au contraire, de mettre à jour les paradoxes pour apporter de la douceur aux équipes, et non pas une sorte de piège ingérable.

J'aime à travailler la résilience de chaque sous système, pour qu'elle puisse encaisser les changements, et pouvoir continuer à vivre et à évoluer. Je préconise pour améliorer cette résilience, de mettre en place des groupes de soutien par exemple, d'écoute et d'un cadre de sécurité psychologique, indispensable pour la capacité à changer.

Il est important que chaque sous système puisse trouver son rythme, sa respiration (pouvoir respirer littéralement). Il est fort possible que la transformation soit asynchrone, et que chaque partie évolue à son rythme. Il est normal de devoir s'arrêter d'apprendre, pour prendre le temps de l'assimilation et de l'intégration, et du repos pour pouvoir réamorcer la machine pour gravir la prochaine marche. Le système a besoin d'énergie pour fonctionner, il ne faut pas hésiter à trouver les moyens de re énergiser par différents moyens (pause, donner du sens, célébrations, maturité d'équipe, intégration,...)

Je ne suis pas un bisounours, mais je me préoccupe du long terme, et non des succès court termistes( sans déconsidérer la démarche des petits pas). C'est une grande chose de changer, il faut beaucoup de douceur, de délicatesse, et de considération, pour éviter qu'une grande vague vienne se fracasser sur ces personnes avec qui nous travaillons et nous emporter dans le même temps.


"Un commencement est un moment d’une délicatesse extrême."

 -- Princesse Irulan