mardi 17 novembre 2020

Droit à l'erreur

J'ai eu le droit à une question qui m'a touché récemment : "et toi, le droit à l'erreur tu y crois vraiment?"

"Car cela peut avoir des conséquences de se tromper, pour l'entreprise, pour les gens qui t'entourent..."

Je pense que la question est légitime, et j'aimerai y apporter ma réflexion.

Oui, je crois au droit à l'erreur. Mais qu'est ce que cela signifie?

Le droit à l'erreur dans l'agilité

Le droit à l'erreur est une notion importante en agilité. 

De par l'observation de nos projets, nous savons que le résultat n'est que très rarement au niveau de ce qui était attendu. Alors par honnêteté intellectuelle, plutôt que croire que nous pourrons être au niveau zéro erreur, nous prenons le parti de se dire, que cela va arriver.

Un projet, et notamment informatique, est une chronologie de choses imprévues, et d'erreur à tous les niveaux de la chaîne. Et cela s'explique, il n'y a pas à chercher à créer un monde parfait, et rigide, au contraire, c'est un monde changeant et mouvant. Il n'est pas possible de tout prévoir.

Du coup, le parti pris est d'accepter les erreurs, mais d'en atténuer les impacts. On peut se tromper, mais il faut être en capacité de vite récupérer son erreur.

On met en place des cycles courts, des itérations, des démonstrations afin de récupérer du feedback (que cela soit auprès des utilisateurs, mais aussi auprès des "machines" : est ce que l'installation fonctionne, la charge est supportée....), trouver des solutions ensemble, et mettre en place des plans d'amélioration pour être meilleur à chaque fois.

Du coup, la gestion de l'erreur doit être dans une perspective d'apprentissage. On a essayé quelque chose, on s'est trompé, mais on a appris, et on fiabilise du coup ce que nous faisons.

Dans ce cadre, où l'impact est limité par une prise en charge rapide de l'erreur, les personnes se sentent plus confortables, car elles savent qu'elles peuvent:

  • Ne pas être parfait (ce qui est une injonction ne pouvant pas être respectée par défaut), et que si jamais elles se trompent, elles ne seront pas pointés du doigt
  • Essayer de nouvelles choses, et que si cela réussit, cela apporte des choses très positives, et que si cela échoue, l'erreur ne met pas en péril le projet, car la portée est limitée et on aura appris de cette expérience

Errare Humanum Est

D'une manière plus large, la vie est une longue expérimentation. Heureusement pour nous, nous ne savons pas tout sur tout, et l'ensemble des contraintes et des pressions nous poussent à faire des choses qui sortent soit du cadre de notre compétence, soit du cadre de notre congruence.

Nous nous trompons, nous faisons des erreurs. C'est un fait. Nous faisons sûrement du mieux que nous pouvons, mais nous sommes amenés à agir hors du cadre de notre zone de contrôle, et à faire des choses incertaines, ou à prendre des décisions rapidement sur la base d'éléments insuffisants, ou hors de notre cadre de référence.

C'est notre quotidien. Il s'agit de ce que nous disons à notre voisin, il s'agit des décisions que nous essayons de prendre pour nos enfants, il s'agit des choses que nous produisons au travail, ...

Et effectivement, cela a des conséquences. En fait ces conséquences existent toujours, qu'elles soient le fruit d'une erreur, ou d'un choix judicieux. Mais louons la personne qui a choisi d'agir. Elle a pris un risque en agissant, et elle a essayé de répondre à ce qu'on lui demandait, ou a essayé d'agir au mieux de ce qu'elle était capable de faire.


Oui Mais


Certaines personnes ne supportent l'erreur des autres, et ont des niveaux d'exigence incroyables.
Perte de confiance, perte de poste, perte de carrière, mise au placard...

Tout cela existe bien entendu, et est très répandu dans nombre de sociétés.

A mon sens, c'est lié à des phénomènes culturels, d'intérêts personnels, et de communication.

La Culture d'entreprise


Dans une société, très hiérarchique, chacun doit rendre des comptes à son supérieur, et on se trouve souvent dans des postures de micro management. Il y a une "peur" d'annoncer de mauvaises nouvelles, et d'afficher la réalité. Il faut toujours être parfait et impeccable, pour plaire à son supérieur, et surtout ne pas avoir besoin de justifier, une erreur de jugement, d'appréciation. On est responsable de son périmètre, tout doit être sous contrôle.
Dans cette dynamique, l'erreur n'est pas tolérée, car elle ramène à la peur d'annoncer la mauvaise nouvelle, et de se faire juger sur l'erreur d'un autre.

Il est évident que dans ce genre de culture d'entreprise, la prise d'initiative est très limitée, tout doit être sous contrôle. Réussir à faire basculer cette culture demande à ce que le manager de l'entité, est un vrai leadership et une capacité à assumer ses décisions. Peut être que tout ne suit pas le "PLAN", mais les résultats peuvent être là malgré tout, et peut être que si une année est moins bonne, c'est qu'on a investi pour une année meilleure l'an suivant.

On en revient à essayer de discuter d'autonomie, de responsabilités délégués, de confiance, et de création d'une structure se basant sur un collectif qui s'aligne dans une même direction.


Les intérêts personnels


Ce topic est en partie lié au précédent. Dans une culture d'entreprise où on favorise la carrière personnelle, où on reçoit un variable lié à ses propres résultats, ... on aura des managers très individualistes qui prendront tout très personnellement, car cela va impacter leur résultat, et leur récompense.
Quand en fin d'année, j'ai l'espoir de recevoir 50k€ en variable, c'est une somme qui fait réfléchir, et sur laquelle la plupart des gens auront du mal à s'asseoir dessus au nom de l'intérêt commun.
Quand la prime est de l'ordre de quelques centaines d'euro, je suis plus à même à m'en désintéresser. Cela ne change pas grand chose à mon niveau de vie. 

On aura alors des discours, sur les impacts que l'erreur a sur la société, qui en fait, sont juste des masques autour de la crainte de ne pas toucher son variable, ou d'avoir des conséquences sur sa personne (carrière, ....).

Avant que le manager puisse devenir leader, et mettre en place une libération du collectif, pour plus de coopération, et de développement de son effectif, le manager doit devenir désintéressé de son intérêt personnel. 
Il ne s'agit pas de ne plus être impliqué dans la vie de sa structure, mais de changer son implication.
Il ne s'agit plus de rechercher son propre avancement, son propre développement, sa propre récompense extrinsèque, mais de s'accomplir dans un but collectif, où voir les autres grandir est une récompense du quotidien. 


Bienveillance envers soi même


Enfin un sujet important, et quelque soit la culture de l'erreur qui vous entoure, il y a un sujet autour du soi.
Il faut savoir s'accorder de la bienveillance (être bon envers soi même). Même si autour de vous, les gens ne le pensent pas, il faut s'accorder à soi son propre droit à l'erreur.
Autant la question peut sembler légitime autour de soi, dans son entreprise, est ce qu'on a vraiment le droit de se tromper, je ne suis pas payé pour me tromper... etcetc.
Autant en se concernant, dans sa propre bulle, dans son propre univers, il faut souffrir d'honnêteté.
En étant honnête avec moi même, je sais que la perfection n'existe pas (c'est peut être une croyance que certains auront du mal à imaginer). Il y a toujours un moment où j'apprends (de mes erreurs), et je suis amené à faire des erreurs pour toutes les raisons qu'on s'est dite auparavant.
Je le sais ... Je l'accepte ... je ne me sens pas coupable de m'être trompé. Je peux me sentir coupable, si je n'ai pas fait de mon mieux (paresse, manque de motivation, ...) et encore, c'est un sentiment que je préfère éloigner.

Si chacun s'accordait cette bienveillance, peut être que cela serait déjà un bon point de départ, pour accorder cette même bienveillance envers ceux qui nous entourent?


Pascal Ogil